Dans son village natal, tout le monde l’appelle affectueusement Pierrot. La bonhommie, le savoir-faire bien sûr et sans doute aussi le côté un peu lunaire de l’un des derniers tailleurs de pierre septimontains devenu sculpteur marquent les esprits.

« Né à Samoëns avec une truelle et un marteau dans la main », Pierre Bianco semble animé par une perpétuelle envie de transmettre et d’expliquer. À plus de quatre-vingt ans, taillé comme un roc, celui qui fut aussi, de 1959 jusqu’à une date récente, moniteur de ski, aime le contact. La pédagogie l’a toujours captivé et quel que soit l’âge de l’interlocuteur et le propos, il prend plaisir comme avec les enfants à tester sa réactivité, ses réflexes. Ce qui, dans certains cas, peut faire perdre le fil et déstabiliser… mais satisfait son côté facétieux et curieux. Il poursuit ensuite, ravi, sa démonstration et n’oublie jamais de dire en préambule : « L’individu est composé de trois points : la tête qui réfléchit, la main qui est la plus belle servante de l’esprit, qui transforme et puis à l’intérieur de l’individu, il y a un cœur ou il n’y a pas de cœur. Le reste, c’est du pipeau. »

Une fois lancé, on ne l’arrête plus lorsqu’il raconte un épisode marquant de sa carrière tel que son expérience de moniteur avec un enfant handicapé pendant quinze ans et tout ce que lui a apporté ce vrai défi. Avec un grand calme et sa voix douce, il reste imperturbable à toute interrogation et répondra plus tard, beaucoup plus tard… quand il n’enchaîne pas sur une autre histoire !

Les Bianco, originaires du nord de l’Italie, arrivent en Haute-Savoie au début du XXème siècle. La famille de Pierre œuvrait dans le bâtiment, spécialisé dans les endiguements de rivière. « Mon père s’est reconverti dans les constructions de maisons à Samoëns et m’a envoyé à 14 ans à l’école d’apprentissage d’Annemasse destinée aux maçons, ébénistes, menuisiers,  mécaniciens… Moi j’ai appris la taille de pierre. »

Deux chantiers aux côtés des compagnons du Tour de France ont accéléré et affiné sa formation, le château du Bérouze à l’entrée de Samoëns et l’incroyable hameau privé des Marllys sur les hauteurs du village qui l’occupera pendant une quinzaine d’années. Dans le sillage du compagnon sculpteur Serge Buisson, il progresse rapidement.

Passionné par l’histoire des « Frahans », ces maçons et tailleurs de pierres qui ont fait la fierté de Samoëns et du Haut-Giffre, Pierre sort documents d’archives et photos anciennes qu’il étale méticuleusement sur la table et commente avec une pointe de nostalgie. On apprend notamment que les Frahans s’exprimaient entre eux dans leur langue, « le Mourmé », pour éviter d’être compris par d’autres… On est loin de « la connexion forcenée » actuelle dont il raille les excès avec humour. S’il a cessé de nombreuses activités trop contraignantes pour son âge, il reste toujours prêt à donner un coup de main à sa chorale et à d’autres associations.

Plusieurs de ses œuvres trônent devant sa maison. Parmi elles, sa sculpture hommage au savant Galilée, élaborée avec un physicien, « Et pourtant elle tourne », dont il tire une fierté légitime ! Mais sa source d’inspiration principale reste cet environnement magnifique. Son atelier caverne d’Ali Baba bien organisée l’attend avec ses outils, anciens et plus modernes, ses gabarits, les œuvres en cours et de nombreux projets. C’est là qu’il range aussi, avec le plus grand soin, son invention « le lithophone » un instrument de musique en pierre au son cristallin.

Pierre vient d’achever un banc en frêne destiné à contempler « son » Criou. Ce septimontain vit dans sa bulle, heureux, semble-t-il, de se repasser le film de sa vie.